Mais au delà de l’enjeu politicien réduit à la préservation d’une image de fermeté du Palais, sur le fond, la pérennité des mesures annoncées, reposant sur des hypothèses de croissance et de chômage discutables, ne vise pas plus loin que la fin du mandat présidentiel. Cela seul suffirait à décrédibiliser une démarche qui consiste à imposer plutôt que de dialoguer.
Si la retraite par répartition est souvent reconnue comme un système protecteur, il est aussi admis que son équilibre est en danger.
Avec aujourd’hui 1.4 cotisant par retraité contre 4.4 dans les années soixante, on peut même considérer que le mécanisme de retraite par répartition s’apparente à une chaîne de Ponzi en cela qu’il vise à distribuer aux retraités les cotisations au fur et à mesure de leur collecte. L’affaire Madoff a récemment illustré le risque inhérent à un tel fonctionnement, dès que les demandes deviennent trop pressantes par rapport au fruit de la collecte. Le système de retraite est lui moins instable, d’une part parce que les cotisations restent obligatoires ce qui empêche le flux entrant de se tarir (même s’il demeure assujetti à la santé de l’économie, ainsi qu’à l’évolution de la pyramide des âges cf. le COR), et d’autre part parce qu’un retour moindre est toléré comme coût de la solidarité intergénérationnelle (par exemple la valeur des points AGIRC ARCO est de l’ordre de 100 pour 125 acheté, cf. la présentation de Danièle Karniewicz autour de la minute 36), un rendement négatif contre la certitude d’une assurance pour ses vieux jours – sauf que les pensions ne sont pas garanties aujourd’hui.
Comment éviter les risques inhérents à un tel système ? en consentant à un effort supplémentaire pour l’équilibrer, qui ne sera acceptable que si équitablement réparti. Je ne reviendrai pas ici sur toutes les inégalités et l’illisibilité du système actuel, mais seulement sur le volet « décote » de la loi en cours de discussion, dont le principe remonte à la loi Balladur de 1993 (cet aspect en fut alors peu contesté car il ne concernait que marginalement les demandeurs de l’époque selon les modalités d’application retenues).
Le mécanisme de la décote : une double peine
Une retraite du régime général sera versée « à taux plein », soit 50% du Salaire Annuel Moyen (SAM) de référence, à deux conditions : avoir atteint 62 ans, et validé tous les trimestres de cotisations requis (166). Quand un cotisant n'a pas le nombre de trimestres requis, il ne pourra pas prétendre à une retraite pleine mais seulement au pro rata du nombre de trimestres effectivement cotisés au nombre de trimestres requis. Ainsi, s'il a cotisé 158 trimestres au lieu de 166, une fois qu’il ne sera plus soumis à la décote, il touchera 158/166=95% de la pension correspondant à son taux plein, soit 47.6% de son SAM.
La décote est une pénalité réduisant encore cette retraite incomplète, si le cotisant n’ayant pas le nombre requis de trimestres validés prend sa retraite avant 67 ans : 1.25% par trimestre manquant, soit 5% par an, 25% pour 5 ans...
Ainsi, s’il lui manque 5 années de cotisations, ce n’est pas 146/166=88% d’une retraite à taux plein (50% du SAM) qu’il touchera, mais la moitié : seulement 25% du SAM alors qu’il a cotisé à hauteur de 44% du SAM en nombre de trimestres !
Cette disposition me paraît nuire à la nécessaire équité d’un système fragile reposant sur la solidarité nationale, déjà mise à mal par la multiplicité des régimes spéciaux. En effet, la décote est par essence inéquitable selon le principe même de la répartition : pour deux cotisants de situations identiques au nombre de trimestres validés près, chaque trimestre les cotisations de tous deux contribuent identiquement en étant redistribuées aux pensionnés du moment - pourtant les droits acquis correspondant à ce trimestre seront amoindris pour l’un d’entre eux…
Quels sont les arguments avancés pour justifier de la décote ?
L'objectif de son extension à 67 ans serait de faire des économies : non seulement leur montant est contesté, mais de plus comme un système par répartition ne peut faire d’ économies qu’à la marge, sa gestion ne portant pas par nature sur un large montant puisque les cotisations sont constamment redistribuées, il faut s’interroger sur qui fait les frais de ce qui n’est autre qu’une diminution de droits. En fait d’« économies » il s’agit
- soit de faire payer par des pénalités appliquées sur les retraites des cotisants - femmes ET hommes - dont le parcours professionnel ne leur a pas permis de remplir les conditions de durée et de régularité nécessaires à l’obtention d’un taux plein par la validation de suffisamment de trimestres pour atteindre le seuil à 62 ans,
- soit de retarder le moment de la liquidation de celles des retraites qui sont incomplètes, en faisant le plus souvent peser ailleurs la charge correspondante (unedic, caisses maladie, fond de réserve …)
Comme autre effet pervers des paramètres retenus pour la décote, on peut aussi penser que les cotisants à qui il manquera plus de 20 trimestres ne seront pas particulièrement enclins – si tant est qu’ils en aient l’opportunité – à valider des trimestres entre 62 et 67 ans, sachant que de toute façon il ne pourraient pas réduire leur décote avant 67 ans : de fait, pour eux, l’accès à leur droits à la retraite, proportionnellement amoindris mais sans amputation supplémentaire, sera à partir de 67 ans et pas avant.
Retarder l’exigibilité des droits acquis, c’est du même ordre qu’accorder un délai de paiement à Madoff : dans ce type de situation, chacun sait que les derniers servis sont les perdant. La décote consiste en faire payer les retraites des uns par un amoindrissement arbitraire des droits des autres, ce qui ne garantit ni l’équilibre, ni l’équité du système de retraites.
1812, la retraite de Russie – 2012, l’heure du bilan… dont celui de la première partie de la promesse présidentielle, celle de travailler plus, qui devra être plus suivie ou subie y compris une fois en retraite.