[PS : je me suis efforcé de retranscrire sincèrement ce que j’ai compris des échanges et de chaque point de vue, mais comme c’est désormais souvent le cas pour un nombre grandissant de discours officiels «seul le prononcé fait foi ». J’ai aussi pris la liberté de quelques ajouts personnels, entre crochets]
Lundi 20 Octobre avait lieu à la Maison de l’Europe à Paris un débat entre Jean Peyrelevade (ancien PDG du Crédit Lyonnais, auteur du récent ouvrage « Sarkozy : l’erreur historique», vice président du Mouvement Démocrate) et Henri de Castries (président du directoire d’Axa) sur le thème de la compétitivité économique, et en particulier leur posant la question : la France est-elle plus fragile que ses partenaires européens ?
Françoise Crouïgneau (présidente de l’association des journalistes économiques et financiers) leur proposa dans un premier temps de confronter leurs points de vues sur la crise bancaire et du crédit, avec d’abord la question traditionnelle « qui va payer, c’est la faute à qui ? »…
Jean Peyrelevade commence par rappeler une théorie qu’il affectionne : « tout système financier laissé à lui-même fait faillite » [note personnelle : c’est aussi le cas en ingénierie à propos de mécanismes comportant du gain – l’équivalent du levier sur les marches financiers – qui nécessitent une contre-réaction pour être régulés de façon à éviter de sortir de leur mode normal de fonctionnement].
Il argumente : « l’expérience historique le prouve, le seul moyen d’éviter les crises graves est la régulation .La monnaie est le bien public, son émission est une prise de risque. Aux USA, l’activité de distribution de crédit immobilier est mal régulée, se répand par titrisation, mal régulée aussi, via des agences de notation, non agréées, les banques d’investissement américaines (Merrill Lynch, Goldman Sachs, Lehmann Brothers) pas régulées non plus. Ce que je ne peux pas déterminer c’est pourquoi à un certain moment tout se détricote. Les remèdes ? le seul est la signature publique pour ramener la confiance (semi nationalisations, rachats d’actifs…). Dans cette partie de son activité, répondre à l’urgence, Nicolas Sarkozy a bien fait son travail. »
Q - comment sortir de la crise, faut-il revenir sur les normes « fair values » ? [cf. Bâle 2 et ses 3 piliers]
Henri de Castries : « j’ai une analyse proche, mais différente : la crise est avant tout financière, qui causera des dégâts dans l’économie réelle. Les conséquences des subprimes sur l’immobilier sont classiques, puis viennent la vraie menace par la hausse des matières premières, et au moment ou elles se retournaient, une accélération de l a crise financière – ce qui peut sembler surprenant :
1) ce qui fait payer des conditions laxistes américaines pendant trop longtemps
2) la réglementation est de plus en plus pro cyclique, utilisant des instruments de mesure de plus en plus court terme, ce qui accroît le mécanisme à la hausse comme à la baisse. Une règlement pro cyclique dans le secteur bancaire est un cocktail mortel, avec des normes comptables privilégiant l’immédiateté (ce qui était à l’origine, c‘était l’obligation de prêter sous Clinton, ce qui fut suivi d’abus dans les banques). La fair value est un abus de langage, ce n’est pas une valeur « juste » (valeur immédiate ou instantanée dans le norme internationale); l’IASB est essentiellement constituée d’anglo-saxons doctrinaires… Le métier de la banque est de collecter des ressources courtes pour les transformer en emplois longs, et repose sur la confiance : tout le monde ne se présente pas en même temps au guichet. Or la norme comptable consiste à faire comme si tout le monde se présentait en même temps au guichet. [note personnelle : il me semble que cette image induit en erreur au regard de la crise bancaire actuelle, les liquidations d’actifs pour rétablir les ratio de solvabilité ayant été causées plus par des dépréciations d’actifs y compris peu liquides plus que par des queues aux guichets]. Peu à eu en Europe les cotés artificiels du système ont été soulignes, avec des CDS [Credit Default Swap] à 0.30/$ ou 0.4/$ ce qui signifiait 100% de risque de faillite. Au lieu de considérer que les ratios de solvabilité sont des amortisseurs, il est adopté une forme de virilité refusant de voir sa marge baisser et conduisant à une augmentation de capital, ce qui fait baisser le cours par dilution. Il y à 3 ou 4 manières de gérer cette crise :
- rétablir le crédit interbancaire qui était bloqué
- obtenir une modification des normes : ne pas mesurer les actifs que l’on est pas obligés de vendre
- adopter une gestion plus pragmatique, plus souple des fonds propres (par exemple, pourquoi augmenter les fonds propres si les états ont dit qu’ils garantissaient la non faillite ? )
D’autre part, c’est un peu facile de désigner des boucs émissaires : les Banques Centrales ne pouvaient pas ignorer la situation (ils ont les bilans des banques, ils ont vu l’endettement augmenter) [mais les engagement via CDS ne sont-ils pas hors bilan ? et quid de l’effet des hedge funds, qui sont peu contrôlés et opèrent depuis des paradis fiscaux pour leur opacité ?].
Q – et les hedge funds ?
Jean Peyrelevade : « ok il y a eu un effet stupide de Bale 2 et d’une gestion trop conservatrice des ratio de solvabilité, mais même si une gestion satisfaisante avait eu lieu les accumulations de risques et l’opacité font peser les risques de faillite. Bien sur, les Banques Centrales pouvaient regarder les bilans des banques d’investissement, mais ils ne pouvaient rien dire (concernant les hedge funds les risques sont opacifiés – on parle de 600 000 milliards de dollars de produits dérivés, mais cela n’a aucun sens, il faudrait connaître le net instantané). C’est ma seule différence avec H de Castries : tout point d’accumulation de risque fait courir un risque mortel. »
Henri de Castries : « je pense que l’on aurait pu, au début, contrôler par les contreparties (les banques qui financent les hedge funds). Il s’agit de la première crise financière liée à l’amélioration de la technologie. »
2 ou 3 questions dans la salle - M Riquier de Bruxelles, vous parliez Jean Peyrelevade de ne pas oublier de zone à risque, or les hedge funds sont aussi sur les matières premières ?
Jean Peyrelevade : « c’est le problème de la transparence des hedge funds, le manque de connaissance de leur positions. Potentiellement, c‘est le même type de problème. »
Q – ?, investisseur privé : dans quelle mesure la cotation des banques est-elle un facteur aggravant sur la confiance ?
Henri de Castries : « la cotation est condition de ressource, par l’accès aux marchés de capitaux. Mais il est vrai qu’une crise des cours peut donner le sentiment d’une crise sur la société (cf. ING récemment). »
Q Bernard ? – quelle est la charnière entre finance et monde réel ? les salaires, la rentabilité et profits en forte augmentation dans les métiers de la banque et de la finance ? est-il raisonnable de faire passer l’assurance de l’Europe sur le régime de solvabilité et les mêmes ratio que les banques ?
Jean Peyrelevade : « Henri de Castries a largement répondu : il existe un déséquilibre dans la croissance américaine qui est alimentée par l’endettement. Les responsables sont Alan Greenspan et les gouvernements : sous Clinton, le crédit « forcé » aux classes défavorisées, etc. On attendait un atterrissage pour revenir sur les mécanismes d’incitation à la prise de risque, mais pas dans cette atmosphère de crise mondiale. Il faut réfléchir à des formes d’actionnariat qui fassent échapper les dirigeants à la prise de risque excessivement rémunératrice à court terme (une piste consisterait à considérer les fonds propres comme des obligations, la rémunération serait non pas sur les plus-values mais sur le niveau de risque de l’entreprise). »
Henri de Castries : « [Chez Axa] nous avons essayé de diminuer les rémunérations fixes et de rémunérer à la performance pour rémunérer le long terme – notre erreur étant que c’était trop lié au cours de l’action. Nous sommes en faveur de Solvency 2 (malgré quelques lacunes) car c’est un système plus moderne que le précédent, avec une mesure du vrai risque économique par une analyse stochastique, et à une supervision européenne. Il reste une trentaine d’éléphants - dont Axa - dans le monde, observés par une multitude de régulateurs indépendants : nous préférerions un seul régulateur (et non pas 27). Solvency 2 donne un avantage aux grands groupes (les ratio baissent car tous les œufs ne sont pas dans le même panier), mais garde quelques limites, en particulier la mesure est faite sur un horizon trop court (1 an). »
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Seconde partie du débat - regroupement des thèmes réveil de l’Union Européenne : pour combien de temps, et comment améliorer la compétitivité en France ?
Q – le gros de la crise passé, ne risque-t-on pas de retrouver les conflits nationaux, et donc la France derrière cas moins compétitive ?
Jean Peyrelevade : « une fois la crise passée il faut rebâtir une régulation mondiale à 3 étages (et je ne suis pas optimiste sur le comment) 1) c’est une matière technique compliquée, il faut un concepteur (normes comptables, produites dérivés, hedge funds, solvabilité, cyclique/contra-cyclique…) : ce n’est pas un réunion de chefs d’états qui suffira (cf. la crise japonaise : il a fallu 8 ans pour établir les règles après la crise…) ; cela peut être une réunion des banques centrales, elles seraient alors chargés par les gouvernements de cette mission. 2) l’Europe doit parler d’une voix forte donc unique : il faudra un régulateur européen musclé et sûr de l qualité de sa parole. La capacité de fabriquer un vrai régulateur central sera un test (tous les régulateurs nationaux sont contres). 3) une idée utopique : quand on voit le caractère désordonné des interventions, il faudrait un fond d’intervention européen de 1ere intervention (abondable par les états) par cotisation de toutes les instances actives (banques, assurances…) pour couvrir les cas les plus dangereux, comme l’Islande ou l’activité bancaire avait pris une importance sans mesure avec l’Etat (ce problème se retrouve dans les paradis fiscaux).
J’assume mon ouvrage [Sarkozy : l’erreur historique] : l’économie française est faible car les marges des entreprises sont les plus faibles d’Europe. Un coup d’œil au budget 2009 indique que les marges françaises vont continuer à décroître, la politique du Président Sarkozy est complètement inadaptée : les marges faibles ont entraîné en 2007 un taux d’autofinancement à un point bas historique (de l’ordre de 50% contre 80% à 90% selon les normes habituelles), alors que l’Allemagne est à 100% autofinancée. Nous sortirons de cette crise en faiblesse accrue. »
Henri de Castries : « je suis plus proche de Nicolas Sarkozy. Sur la reconstruction, je pense comme Jean Peyrelevade que c’est un sujet difficile, les institutions sont devenues des bureaucraties… »
Q intervention dans la salle – même l’Eglise peut changer, faut-il aller à Lourdes ?
Henri de Castries : « il faut essayer sur des sous-ensembles. In certain nombre de pays en développement doivent participer [à la reconstruction] Chine Brésil Inde Afrique du sud … et l’Europe avoir une seule voix. Les techniques et la réactivité ne sont plus les mêmes qu’en 1945 : les banques centrales et ministères des finances n’ont plus besoin de se réunir physiquement, il faut créer des procédures et non des institutions.
Dans les sous-ensembles sur lesquels commencer : je suis sceptique sur l’Europe à 27 (ne serait-ce que pour le temps de s’exprimer, près de deux heures avec seulement 4 minutes par ministres…)
L’Eurozone est gérable (cf. l’avant dernier week-end), il faut construire là-dessus. Idem pour la supervision, il ne faut pas que tout le monde soit à bord : avec une Europe à 6, il est impossible aux petits pays d’être contre. Il faut ne pas hésiter à jouer de l’effet d’entraînement des grands pays.
La réunion à 4 [du 4 octobre] a généré tant de frustrations qu’elle a permis la réunion à 15. Il est naïf de penser que les problèmes français seront réglés en 18 mois ni en 36 ni en 4 ans : depuis 1981n nous avons accumulé un retard considérable. Je suis moins pessimiste sur les entreprises : leur activité française est moins performante, mais pas à l’international (cac40 ou SBF250) : L’Etat coûte de plus en plus et fonctionne de moins en moins, les entreprises croissent à l’extérieur. De plus nous avons des leaders mondiaux, ce qui permet un certain optimisme. Va-t-on arriver à mieux gérer l’Etat et voir des bilans plus productifs ? TEPA [paquet fiscal d’août 2007] : c’est principalement une baisse du coût du travail, ce qui n’est pas suffisant. Le seul moyen de trouver des marges de manœuvres est d’augmenter la productivité de l’Etat. Le Canada, la Suède ont été poussés au mur par les conditions internationales et ils l’ont fait (mais nous avons aujourd’hui des conditions beaucoup plus défavorables).
Jean Peyrelevade : « 1) Les comptables nationaux ne savent pas la part d’activité réalisée à l’étranger des entreprises françaises : pour mon livre précédent [le capitalisme total, édition Seuil], j’ai demandé au ministère des PME, aux chambres de commerce etc. personne n’a pu répondre ; pour les sociétés cotées c’est connu, mais elle ne représentent en gros qu’un quart de leur valeur ajoutée des entreprises (et autant réalisé à l’étranger) - reste 75%… 2) critique dynamique : le Président de la République veut juger sur les résultats : avec son action 2007, 2008, 2009 les entreprises françaises continuent de se détériorer (et le choc date d’avant la crise, cela risque d’empirer) 3) je suis le premier (plutôt le premier bis) à vouloir réformer l’Etat, supprimer un niveau d’administration locale … mais je crains que cela ne soit devenu mythologique. Les déficits publics dépassent 50 milliards et sont en augmentation, et la RGPP doit permettre de gagner 7 milliards seulement horizon 2012. Le partage de la valeur ajoutée en France est mal réglé : il est trop favorable aux ménages et pas assez aux entreprises, ce qui enferme dans le cercle vicieux suivant : pas d’investissement, par de gains de productivité, pas de pouvoir d’achat. Les marges des entreprises en France étaient autour de 33% en 1989 et en diminution (après un creux autour de 30% en 1987) et elles seront de 27% en 2009 ; en Allemagne, elles sont de 41%. »
Henri de Castries : « Il n’est pas possible d’augmenter la fiscalité sur les ménages, il ne reste plus qu’à laisser jouer les stabilisateurs automatiques » [note personnelle : espérer un retour à l’équilibre par une croissance plus rapide du PIB que de la charge de la dette semble un pari hasardeux, en particulier dans un contexte de remontée des taux]
Q ?, chef d’entreprise de province – la réunion de l’eurozone a été possible grâce a Gordon Brown qui est hors eurozone : quel noyau dur ? concernant les PME, on peut débattre de la réforme de l’Etat, mais le pays n’est pas prêt – il pourrait le devenir si le droit à l’expérimentation est accepté (surtout si le benchmark est à l’étranger) : il y a un décalage entre les sciences du vivant, très technologiques, et le pilotage par l’Etat des grands corps…
Henri de Castries : «Brown a été forcé par les Irlandais (départ des dépôts [suite à la garantie apportée par l’Irlande des dépôts bancaires]), son schéma a servi de modèle, il devenait difficile d’être moins disant. Qui sera gagnant ? à voir l’état du système bancaire anglais, Standard Chartered et HSBC semblent ok, Barclays et Royal Bank of Scotland sont quasi nationalisées… il faut des structures souples. Concernant l’expérimentation, c’est tout à fait juste : nous en sommes de farouches partisans, moins dans la sphère publique. Le secteur de la dépendance à venir [cinquième risque] correspondra à une demande sociale forte et il n’y a pas un centime publique : va-t-on pouvoir inventer une solution ? l’Etat doit assurer la définition du cahier des charges.
Jean Peyrelevade : « on sera d’autant plus efficaces s’il y a un schéma de régulation européen sur la table. Je suis frappé par l’absence totale de la Commission Européenne [dans les concertations récentes sur la crise bancaire et du crédit] : nous devons revoir le dialogue inter-étatique en l’absence de propositions de la Commission. Concernant la régulation, il n’y aura pas de régulation financière en Europe sans les Anglais. »
Q - ? du Benelux : si les prélèvements obligatoires augmentent, ne risque-t-on pas de voit augmenter encore le nombre des réfugiés de la gare du nord ? ils sont 220 000 selon les chiffres officiels, 100 000 de plus selon les chiffres officieux [à avoir pris le train gare du nord pour aller travailler hors de France], si l’Irlande quitte l’euro Berlusconi suit, que fait-on ?
Q - ? haut fonctionnaire hors cadre, rémunéré à l’intention, puis élu – en tant qu’adjoint haut fonctionnaire, connaissant la procédure plus que la création de richesse : pourquoi voulez-vous que cela change, avec le handicap supplémentaire d’avoir été tendres avec les banques, en comblant les gaps ?
Jean Peyrelevade : [rapidement, car devant partir] « sur l’emploi : technocratique, une étude récente de l’INSEE montre qu’il y a une complémentarité entre l’import et l’export pour les entreprises implantées à l’étranger [c’est à dire que l’activité dans les filiales à l’étranger entraîne des emplois en France].
Concernant les réfugiés de la gare du nord : on peut continuer à s’enfoncer doucement, comme nous le faisons depuis 1981 : avec l’Italie et peut-être le Portugal, la France n’a jamais présenté un budget à l’équilibre. Ma thèse est que plus on continue, plus le taux de croissance baissera jusqu’à obtenir un pouvoir d’achat stationnaire. »
06/11/2008
Débat à la Maison de l’Europe : Compétitivité économique, la France est-elle plus fragile que ses partenaires européens ?
Publié par
Nicolas Mauduit
à
13:10
tags: compétitivité économique, économie, Europe, Henri de Castries, Jean Peyrelevade, Maison de l'Europe
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